Cela fait quelques temps que je suis confronté à des débats animés sur les inconvénients liés au flat design. Des clients, des partenaires, des confrères, des amis se lassent de cette tendance et montre du doigt les designers qui, selon eux, ont appauvri le design et la créativité. « Tout le monde se ressemble, c’est froid, rigide, carré, visuellement pauvre, on se fait chier, aucune émotion, c’est du no-design… »

Il faut comprendre (et accepter) que le flat design n’est pas une mode saisonnière mais bien une tendance de fond durable. Comme toutes tendances, il y a une période d’apparition, d’appropriation, de saturation et de disparition. Il semblerait que nous sommes dans la saturation.

Alors le flat design est-il un réel fléau qui a contaminé tous les designers ?

Le flat design : pour faire simple.

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Le flat design (design plat) a été propulsé par l’arrivée du style ModernUI by Windows en 2012. Un retour du minimalisme été déjà perçu vers 2010 (directement inspiré du mouvement minimaliste des années 60).

Le flat design est construit sur un système de grilles modulaires (comme celles utilisées dans le print et au début du web jusqu’à l’arrivée de Flash) avec des aplats de couleurs et des picto contrastés.
La volonté c’est d’épurer, de simplifier l’interface utilisateur, d’uniformiser et de décliner cette interface sur l’ensemble des nouveaux terminaux (smartphone, tablette…).

Il vient se démarquer du skeumorphisme utilisé par Apple dans ses interfaces : volonté d’illustrer du réel afin de faire le lien entre une fonction nouvelle et un objet existant – un appareil photo pour illustrer la fonction photo de son smartphone (amusant quand on sait qu’Apple prône l’épuration de son design et le minimalisme).

Le flat design profite donc de la maîtrise des nouvelles interfaces par l’utilisateur (plus besoin de représenter le réel pour être compris), des contraintes de légèreté, de restructuration imposées par les terminaux mobiles et aussi de l’abandon du Flash.

L’anecdote de l’interrupteur :

Même nos interrupteurs sont plats. Maintenant il suffit d’effleurer un aplat de plastique coloré pour allumer le lustre. Alors qu’avec les interrupteurs type porcelaine, on actionne le petit levier, un clic-clac se fait entendre et l’ampoule s’allume. D’un point de vue expérience utilisateur l’interrupteur « plat » est assez pauvre.

Le flat design : simple, efficace et… moins cher ?
Flat Design tendance graphique 2015

Appuyé par des études (et par des faits), l’utilisation d’un design plat est plus efficace pour amener l’utilisateur à une action. Dès lors le flat design est vendu comme un design efficace.
Il a tout pour séduire le client. C’est « In » et ça fonctionne : c’est « Design ».

Aux yeux du « client » ces jolis pictogrammes que l’on trouve partout, c’est simple donc pas cher.
Il est toujours complexe pour les designers d’expliquer que pour faire simple c’est compliqué. Sans parler que la popularisation des outils PAO nous donne le droit à des phrases du genre : « Moi aussi j’ai photoshop, je peux le faire en 3 coups de baguette magique ! »
Ajoutons une coupe des budgets dans la com’ sous l’excuse de crise et il devient évident que produire un picto ça prend moins de temps qu’une illustration (si on enlève la partie réflexion sur la pertinence du graphisme choisi) et donc moins d’heures facturées.

Bref. Sans entrer dans le débat financier, le flat design est efficace, simple mais normalement il n’est pas spécialement moins cher si on prend le temps de réfléchir à son efficacité.
C’est là où la popularisation du flat design nous entraîne droit vers la saturation, car le flat design devient un réflexe (un peu comme dans les années 2000 avec les vagues Coca ou les silhouettes Apple).

Il veut un truc simple, moderne, efficace et pas cher : c’est le flat que je lui sers !

Le flat design : de simple à facile.

J’ai toujours été attiré par le minimalisme, l’épuration, la simplicité. J’en suis tombé amoureux pendant mes études, bien avant le flat design, j’en ai fait mon étendard, mon leitmotiv. J’ai donc été hyper satisfait de voir qu’autour de moi on allait dans ce sens. Sauf que trop de minimalisme tue le minimalisme.

Comme tout effet de mode, certains y ont vu un filon doré. L’évolution de notre société, basé sur une volonté de partage, de recyclage ont facilité la diffusion des ressources du flat design.
Aujourd’hui un bon nombre de templates, gabarits, banque de picto vous permet à coup réduit de posséder un semblant de flat design (sans passer un designer).
On ne réinvente pas la roue à chaque créa, du coup on retrouve son picto un peu partout sur différents projets.
Ça accentue l’effet de saturation (un peu comme l’époque des pulls jacquards, des pin’s ou des coupes au mulet).

Là où c’est devenu dangereux c’est quand l’utilisation du flat design dépasse son rôle d’interface et devient un parti pris identitaire à la mode.
Des grandes marques ont décidé de refondre leur identité pour miser sur un design plat… on s’en fou du ressenti ou de l’émotion dégagée en désaccord avec une valeur de marque.
J’ai en tête Bouygues Télécom, Daylimotion, Facebook, ebay, Starbuck, ERDF, Mini
La volonté de simplifier un design pour améliorer son efficacité (l’essence même du flat design) devient ici une solution de facilité mal exploitée qui permet juste de ressembler à un autre… au lieu d’être un autre.
Du coup tout le monde se ressemble, la même forme typographique blanche sur un encart de couleur. L’uniformisation des créations souligne un manque de valeur ajoutée de notre métier.

L’utilisation du flat design à toutes les sauces l’a tué en le vidant de tout son sens.

Le flat design : simplement y renoncer ?

Bien sur que non ! Je le rappelle, le flat design est efficace. Il faut juste renoncer à la facilité et reprendre notre boulot de designer. Est-ce utile à la finalité de notre projet.
C’est une tendance qui finira par disparaître. L’arrivée des nouveaux objets connectés, des nouvelles utilisations, nous obligeront à repenser les interfaces. On le voit déjà.
Le matérial design de Google a redonné un peu de volume au flat et l’a surtout fortement animé avec une réflexion sur l’interaction utilisateur-interface.
Le retour du GIF animé (format des années 90), le retour du dégradé sont aussi des signes de changement.
Tumblr a fait demi-tour en abandonnant son flat pour revenir à une icône 3d.

Je suis d’accord pour dire que le manque de vigilance, que la facilité mais aussi le changement de consommation du graphisme nous ont entraîné à l’uniformisation des créations et à un appauvrissement graphique (la saturation d’une tendance).
Ce travers on le retrouve sur chaque tendance de fond, à chaque époque et dans beaucoup de secteur (cinéma, automobile, alimentaire).
J’avoue également que l’avancée technologique des dernières années a fortement changé le métier. L’utilisation de nouveaux langages remettent sur le devant de la scène les développeurs informatiques. Les évolutions d’interfaces sont devenus techniques, les priorités ne sont plus dans le graphisme pur.
La prise de risque est aussi plus faible au sein de notre société. On a du mal à vouloir sortir du lot et on préfère rester sur les tendances pour ne pas choquer ou outrer.
D’un point de vue français, j’ai envie de dire qu’il manque aussi une culture du graphisme… mais la tendance flat design étant mondiale, ça ne change pas la donne.
Le point positif c’est la prise de conscience de l’utilisateur dans toutes ses nouveautés.

On l’aura compris, ce fléau d’uniformisation n’est pas qu’une conséquence du flat design.
C’est un tout dont il faut avoir conscience pour justement en sortir et montrer que le métier de designer a une véritable valeur ajoutée : la réflexion.

 

Revoir : les tendances de 2015