En pleine campagne, nous voyons fleurir la fameuse affiche électorale, propagande politique obligatoire.
Comme depuis plusieurs années en France, les affiches des 11 candidats pour la présidentielle de 2017 ne brillent pas d’innovation (revoir l’analyse détaillée ici). En tant que graphiste je me suis posé plusieurs fois la question, comment faire évoluer cette affiche qui se ringardise ? Je me suis donc prêté à cet exercice et voici ce que j’en retiens.
Pourquoi cette faible évolution ?
En regardant rapidement en arrière, ces affiches ont connu leurs heures de gloire dans les années 80, mais depuis plus rien. Elles sont devenues une tradition, trop peu souvent remise en question, jusqu’à en perdre l’utilité.
Elles se ressemblent, se confondent toutes, abordant le visage retouché du candidat, le slogan générique et puis c’est tout.
Je vois trois causes à cette standardisation.
1/ La vision à la française de la présidence
Notre choix se porte sur un candidat, non plus sur un parti politique, ni sur un projet, ni sur un programme.
Nous cherchons donc un candidat qui aura les épaules assez larges pour la posture présidentielle, qui sera séduisant, qui ressemblera à l’image que l’on se fait de la France. Un candidat qui portera via son image un choix rassurant.
Nous sommes encore dans la représentation du père ou de la mère de la patrie, protecteur du peuple, représentant l’autorité, mais aussi la chaleur et le confort (je vous rassure, il n’y a pas qu’en France).
Cette évolution du vote et de notre vision de la présidence explique la présence du visage des candidats sur toutes les affiches. De ce visage en sortira des critiques : trop jeune, bien français, trop froid, assez mature, trop gros, présidentiable, trop coincé, trop malicieux, mal habillé, une belle gueule…
De ces critiques en sortiront des subterfuges : éclairage, portrait de face, de 3/4, sourire, maquillage, Photoshop.
Par conséquent, c’est ce culte de l’image du candidat qui va orienter le choix dans la création des affiches… et l’on en arrive au travers d’aujourd’hui où l’on s’affiche au lieu de communiquer.
2/ L’absence de projet, vision, symbole et de rêves à illustrer
En me prêtant à cet exercice, la première observation que je me suis faite c’est qu’en dehors du candidat je n’ai pas trouvé autre chose à représenter.
En regardant dans les années 60-70, on peut trouver des affiches qui illustrent une vision pour la France sans montrer le candidat, par exemple Pompidou utilisera le concorde pour illustrer le progrès, ou en 69 une affiche très psychédélique, pour afficher sa volonté d’une France de l’avant-garde en accord avec la jeunesse. Ou encore cette affiche de De Gaulle, qui mise sur la jeunesse avec ce dessin enfantin d’une petite fille prenant la main du général ; symbole réutilisé en 1988 avec l’affiche Génération Mitterrand.
Les arrière-plans aussi parlent, Mitterrand illustrera à ses débuts une France moderne avec des industries en fond et, plus célèbre, la fameuse force tranquille illustration d’un retour au calme suite aux différentes crises et affaires politiques.
Mais aujourd’hui rien, dans les programmes des candidats ne permet de sortir un symbole fort, qui déclencherait une ferveur électorale. Pas de projet concret, porteur de sens, pas de slogans percutants. Sécurité, emploi, économie, rassemblement… des notions trop vagues pour être illustrées et surtout bien comprises.
3/ Un média archaïque ?!
Il est vrai qu’entre les hologrammes, Youtube, Snapchat, « Fiscal Kombat » et autres applis numériques, l’affiche électorale fait figure d’ancêtre. Et pourtant elle reste obligatoire, remboursée par l’État, et surtout le dernier outil de propagande avant le bureau de vote.
Le problème n’est pas lié au support, mais à son utilisation. L’affiche électorale (à différencier de l’affiche de campagne), par son petit format, correspond plus à une affiche de communication et d’information. Son emplacement, à proximité des bureaux de vote sur les trottoirs, permet un temps de lecture un peu plus long.
Ici, c’est donc bien le contenu qui rend cet outil archaïque. Le portrait systématique (aussi bien travaillé soit-il) associé à un simple slogan, c’est de l’affichage banal que nous ne voyons plus et surtout qui ne transmet pas d’information en dehors du culte de la personne.
Quelles possibilités ?
La première évolution c’est de travailler le contenu en rompant avec ce trombinoscope. Apporter du fond en utilisant les points forts des programmes.
Voici par exemple une piste de réflexion que je propose en me prêtant à l’exercice. Rien de bien révolutionnaire, mais de quoi redonner de l’utilité à l’outil. On se situe entre l’affiche de campagne et le tract.
Pour ces trois refontes, je me suis appuyé sur les points forts et les points faibles des candidats.
Pour la première affiche, du candidat Fillon, sa problématique est liée directement à son image. Ses affaires de campagnes sont venues masquer son programme. J’ai donc pris le parti de ne pas montrer le visage du candidat, mais de donner cette sensation de victoire, par la foule, et de remettre en avant son programme en utilisant une anaphore, pour faciliter la mémorisation.
Pour la deuxième affiche, le candidat Hamon possède une silhouette sympathique (l’effet des oreilles rondes). J’ai aussi accentué la fraîcheur de l’affiche, pour apporter une modernité et mettre en avant le côté « vert » du candidat, sans oublier le socialisme et la bienveillance, prônés par ce candidat.
Pour la troisième affiche, Macron a besoin d’affirmer une posture de président, tout en assumant une vision différente. J’ai décidé de poursuivre sur la dynamique de ses visuels de campagnes à travers la photo. C’est une candidature en mouvement, qui doit être mise en avant et non la statique de l’affiche actuelle.
Utiliser la nouvelle technologie : le mixmédia
Et pourquoi ne pas augmenter cette affiche papier ? Pour des candidats qui se présentent comme modernes, il est étonnant de voir très peu de liens possibles avec le smartphone des piétons.
Pas de QrCode pour du contenu supplémentaire, pas de Chatbot pour poser des questions… et pourtant des initiatives ont déjà eu lieu.
Si l’on regarde chez nos cousins canadiens, lors de la dernière campagne électorale, le candidat du Parti libéral a dévoilé des affiches interactives au Québec, sur le principe de réalité augmentée. À l’aide du smartphone et d’une appli, l’affiche se transforme en vidéo où l’on voit le candidat principal s’adresser directement au lecteur.
En France pour cette campagne 2017, c’est l’appli Extrapol (développée par WeDoData), qui permet d’obtenir des contenus inédits en s’appuyant sur le principe de réalité augmentée.
Chaque jour (du 10 avril au 7 mai) en regardant l’affiche à travers « l’oeil » du smartphone on découvre des petites informations sur chaque candidat (des archives de l’Ina, des infos sur la vie et sur les opinions du candidat).
En conclusion
L’affiche électorale, tradition très réglementée en France, doit permettre au candidat de communiquer sa valeur ajoutée et faire un buzz utile, plutôt que de faire parler d’elle par des détournements.
Séduire par le visuel, mais aussi par le contenu, et sortir du lot. Elle doit se différencier des visuels de campagne que l’on retrouve sur les réseaux sociaux ou sur les tracts, car l’affiche électorale a une position stratégique.
Vouloir changer, moderniser, la politique et reconquérir les citoyens, passe aussi par l’image et la maîtrise des outils de communication. S’afficher comme il y a 20 ans, c’est assez contradictoire.
En période électorale, tout est bon pour séduire et convaincre. L’affiche électorale, même si elle est estimée impacter 3 % des électeurs (pas d’études précises, mais un parallèle avec les affichages publicitaires) est un support offert et imposé au candidat… le meilleur moyen d’être créatif.
Super. Merci..